La crise, miroir grossissant de la précarité étudiante
Les images de jeunes adultes faisant la queue lors de distributions alimentaires au printemps puis à l’automne 2020 ont causé un choc aux Français. L’opinion publique découvrait alors une pauvreté méconnue : celle vécue par de nombreux étudiants.
Si la crise sanitaire a été un moment de bascule pour certains, elle a surtout mis en lumière un problème plus profond de précarité structurelle dans cette population.
Jarod, Sarah, Ismaël et Élise étudient à Lyon, Bordeaux et Montpellier. Nous les avons suivis tout au long de l’année universitaire 2020-2021. Leurs situations portent à s’interroger sur un système d’aide qui semble souvent inadapté.
T out arrêter, rentrer à Mâcon (Saône-et-Loire) chez sa mère et trouver un travail… Sarah, étudiante lyonnaise, y a sérieusement songé en octobre lorsqu’elle croulait sous les dettes.
Après un BTS en économie sociale et familiale effectué dans sa ville natale, la jeune femme de 22 ans s’est installée à Lyon pour suivre une formation d’éducatrice spécialisée. « En plus des frais de scolarité, j’ai eu énormément de dépenses pour mon studio : les frais d’agence, les deux premiers mois de loyer à régler d’avance, et j’ai dû le meubler moi-même… », explique-t-elle.
En septembre, elle n’avait perçu aucun revenu, excepté une aide mensuelle de 200 euros de la part du Secours Catholique de Bourgogne. « Le premier versement de l’APL est arrivé en octobre et celui de la bourse de la région, en novembre. » Sa mère, aide-soignante, ne pouvait pas l’aider.
chômage partiel
L’argent gagné pendant l’été aurait dû lui permettre de voir venir. Mais à cause de la pandémie, le matelas s’est avérée plus mince que d’habitude. L’usine où elle comptait travailler, comme les trois étés précédents, n’embauchait plus d’intérimaires. « Ils avaient encore des salariés au chômage partiel », observe Sarah. La jeune femme a finalement trouvé des petites missions d’auxiliaire de vie, mais qui ne lui ont rapporté que 500 euros en deux mois.
Alors, à la rentrée 2020, elle s’est serré la ceinture. « Je ne mangeais qu’un repas par jour, sans viande ni poisson. Je rentrais chez moi quand les élèves de ma promotion allaient boire un verre. J’ai renoncé à m’inscrire à la danse, alors que j’en fais depuis dix ans… C’est dur pour le moral », confie Sarah. Des dépenses imprévues sont encore venues plomber son budget : « L’embrayage de ma voiture a lâché », 300 euros ; « Une nuit, des jeunes ont brisé les vitres de toutes les voitures de la rue », 60 euros de franchise ; « J’ai eu des frais de découvert bancaire », 80 euros.
Je ne mangeais qu’un repas par jour, sans viande ni poisson.
La jeune femme se souvient d’avoir appelé en pleurs l’assistante sociale de l’université pour lui demander un rendez-vous. Mais celle-ci n’était pas disponible avant un mois. « Je ne savais plus quoi faire. »
Sarah fustige un système d’aides déconnecté de la réalité. « Les bourses sont calculées uniquement à partir de la feuille d’imposition (des parents ou, plus exceptionnellement, du jeune s’il en fait la demande, Ndlr), c’est infondé, considère-t-elle. Selon les situations, les besoins ne sont pas les mêmes. Ce qu’il faut regarder, même si c’est plus compliqué, ce sont les dépenses obligatoires de chacun. »
Jarod, boursier lui aussi et élève en licence 2 de communication à l’université de Montpellier, rejoint Sarah sur le problème d'évalution des besoins réels des étudiants. « On ne considère pas assez le côté humain, les choses banales du quotidien mais qui ont un impact », estime-t-il. Le jeune homme de 19 ans prend l’exemple de la crise du Covid : « On a beaucoup parlé des étudiants qui ont perdu leur job, mais il y a aussi des choses toutes bêtes comme les factures d’électricité qui ont augmenté car on est resté chez soi. »
Il évoque ceux qui doivent parfois aider leurs parents financièrement, ou qui vivent loin de leur famille et pour qui les allers-retours coûtent cher. « On n’est pas dans la misère, mais le moindre imprévu creuse une situation de précarité. »
Mauvaise surprise
En septembre, Jarod a eu une mauvaise surprise. Le Crous lui a attribué un studio aussi grand que le précédent, mais dans un bâtiment rénové. « Du coup, mon loyer a grimpé de 80 euros. » Son APL, calculée selon la superficie du logement, elle, n’a pas augmenté.
Avec sa bourse de 450 euros et des baby-sittings de temps en temps, Jarod s’en sort quand même. « Mais à la fin du mois, je ne mange quasiment que des pâtes », raconte-t-il. Le jeune homme s’estime chanceux. Il connaît certains étudiants, boursiers ou non, qui galèrent au point de devoir travailler en parallèle de la fac.
Chercher un emploi, Élise a dû s’y résoudre cette année. Camarade de promo de Jarod, elle a trouvé un mi-temps dans une chaîne de restauration rapide : 20 heures payées 690 euros par mois.
Jusque-là, elle avait préféré éviter de travailler pour se consacrer entièrement à ses cours. Avec 290 euros de bourse, 220 euros d’APL et 200 euros versés par son père, elle s’en sortait. « Je ne suis pas une grosse dépensière. Et j’ai fait encore plus attention », précise-t-elle.
Faille
Mais en septembre, elle a perdu un échelon de bourse du fait de la hausse des revenus familiaux. Son père, en arrêt à cause d’une maladie dégénérative, a en effet vu sa pension d’invalidité revalorisée. « Sauf que c’est parce que son état a empiré et que ses frais médicaux ont augmenté, souligne Élise. Du coup, ma famille ne peut pas m’aider davantage. »
C’est ce que la jeune fille a expliqué à l’administration. « Ils ont reconnu qu’il y avait une faille dans leur système, rapporte-t-elle. Mais ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire. »
Avec 120 euros de bourse en moins par mois, l’équilibre budgétaire trouvé par l’étudiante s’effondrait. « Ça m’angoissait. Du coup, j’ai cherché un boulot. » En ce mois de novembre, Élise reste optimiste. Elle pense qu’en s’organisant bien et en s’arrangeant avec ses managers pour les horaires, elle devrait réussir à tout mener de front.
Réchauffé par une veste en polaire grise, les yeux soulignés par de fines lunettes rondes, Ismaël, 18 ans, étudiant bordelais, a pour sa part mis fin à son contrat chez McDonald’s. Il s’est rendu compte à la mi-octobre que « les horaires étaient incompatibles avec la fac ».
Il n’a pas envie de faire la même erreur que l’an dernier, lorsqu’il travaillait 26 heures par semaine en plus de ses 27 heures de cours. « Je ne manquais de rien, dit-il. Mais j’étais tout le temps fatigué, je loupais des cours et c’était dur de réviser car je devais continuer à aller bosser. » Il a redoublé son année.
Je ne manquais de rien, mais j’étais tout le temps fatigué et je loupais des cours.
En cet après-midi de novembre, il est venu sur le parking du campus “Sciences et technologie” de l’université de Talence récupérer un colis distribué par “Solidarité continuité alimentaire Bordeaux”, une association née en mars 2020 face aux besoins urgents de nombreux étudiants durant le premier confinement.
Dans des sacs en plastique, des produits de première nécessité : des pâtes, des conserves, du lait, du thon, du café… Mais aussi du papier toilette, du savon, des serviettes hygiéniques. Ismaël profite de cette opportunité. Le sac qu’il vient de recevoir devrait lui faire économiser « environ 50 euros ». Une somme non négligeable pour ce jeune boursier. Depuis qu’il a arrêté de travailler, ses ressources mensuelles se limitent à 403 euros de bourse et 130 euros d’allocation logement (APL).
Avec ses 533 euros de revenus pour 509 euros de frais fixes, dont 400 de loyer, le jeune homme avoue avancer « un peu dans le flou ». Son père est décédé et sa mère, ouvrière payée au Smic, ne peut pas l’aider. « Elle me donne quand même du lait, des pâtes et des boîtes de conserve quand je vais la voir », précise-t-il. Ismaël pense se mettre de nouveau à la recherche d’un job.
Sarah va mieux. « J’ai réussi à remonter la pente », déclare l’étudiante lyonnaise. Pendant la période critique, elle a tenu bon en empruntant finalement de l’argent à des amis. Puis ses trois premiers mois de bourse lui ont enfin été versés et elle a pu rembourser une partie de ses dettes.
La jeune femme a ensuite trouvé un équilibre en resserrant ses dépenses – « Je fais des grandes courses une fois par mois, puis je m’astreins à ne pas en refaire » – et surtout en effectuant des missions en intérim dans un centre d’hébergement pour personnes migrantes et un établissement qui accueille des personnes handicapées.
Un apport non négligeable permis par le contexte de pandémie. « Normalement, je devais faire un stage tout au long de l’année », précise-t-elle. Mais à cause de la désorganisation des équipes liée au Covid, « les structures ne prenaient pas de stagiaires ». Cela lui a laissé du temps pour travailler.
Une aubaine
Pour Élise aussi, le contexte de pandémie a paradoxalement été une aubaine. « Tous les cours étaient à distance et on nous fournissait un polycopié », explique l’étudiante montpelliéraine. Elle a ainsi pu aménager son temps de travail. « Sans cela, ça aurait été compliqué », avoue-t-elle.
Avant le confinement du mois de novembre, elle n’a pu se rendre qu’à neuf heures de cours. « Ça tombait systématiquement en même temps que le boulot », déplore-t-elle. Élise se demande comment elle va réussir à cumuler emploi et études l’an prochain, « si les cours reprennent en présentiel ».
Par-delà la compatibilité des horaires, elle pense à la fatigue occasionnée par les journées à rallonge et les fermetures tard le soir. « Lorsqu’on travaille, on a plus de mal à être attentif en cours. Parfois, on ne se réveille pas le matin. » En même temps, dit-elle, elle n’a pas le choix : « Sans cela, je n’aurais pas pu m’en sortir financièrement. »
À Bordeaux, Ismaël a fini par reprendre une activité rémunérée. Il s’est lancé comme autoentrepreneur. Il travaille 25 heures par semaine. Autant que l’an dernier. « Mais l’avantage, c’est que je peux m’organiser », nuance-t-il. L’étudiant en histoire de l’art fait de la livraison de repas à vélo via la plateforme Uber Eats. Il livre principalement le soir. Parfois aussi entre midi et deux, et le week-end. Cela lui rapporte environ 600 euros.
Il a passé ses partiels début mai et a « plutôt bien réussi », pense-t-il. Il va rester à Bordeaux tout l’été pour travailler. Pour l’an prochain, il préférerait quand même trouver un emploi salarié dans la restauration rapide ou en grande surface. « Là, j’ai un peu l’impression de tourner à vide, je ne cotise ni pour le chômage ni pour la retraite. » Et pour les horaires ? Le jeune homme espère pouvoir s’arranger avec la fac.
Sarah compte « beaucoup bosser » cet été pour s’assurer de quoi voir venir. Malgré ses frais de scolarité à payer, 700 euros, elle envisage la rentrée avec plus de sérénité. « Je n’aurai pas autant de dépenses, vu que je suis déjà logée. Et j’espère ne pas avoir de nouvelle grosse réparation à effectuer sur ma voiture. »
Elle ne va pas chercher un poste en usine, mais plutôt continuer ses missions en intérim dans le secteur social. « Il y a beaucoup de demande et ça paye mieux, explique-t-elle. Surtout, c’est en lien avec mon projet professionnel. »
Crédit
Élise ne sera plus boursière en septembre, conséquence d’une nouvelle revalorisation de la pension de son père. Résultat : elle perd 170 euros de revenus et son logement du Crous auquel elle n’a plus droit. Elle a déjà déménagé dans un studio. « Ça me coûte 70 euros de loyer et 50 euros de charges en plus par mois », précise la jeune femme. « Cela devrait aller », dit-elle, à condition qu’elle puisse garder son emploi l’an prochain. « Mais je ne pourrai plus mettre de sous de côté. »
Après sa licence, la jeune femme souhaite faire un Master. « Je devrai peut-être déménager et payer une école. » À défaut d’économies suffisantes, elle contractera un crédit. « Mais, ajoute-t-elle, j’aimerais ne pas devoir emprunter trop d’argent. »
Je crains de ne pas retomber sur mes pattes
Jarod vient d’apprendre qu’il n’aura pas de logement du Crous à la rentrée. Il a dû refaire son dossier de demande de bourse auprès de l’administration pour corriger une erreur concernant la situation professionnelle de sa mère, et entre-temps les délais de demande de logement ont été dépassés.
« Je vais être obligé de chercher dans le parc privé », constate l’étudiant montpelliérain, qui craint de « ne pas retomber sur (ses) pattes. Mon studio du Crous était meublé et le loyer comprenait l’abonnement Internet et les charges. Donc, forcément, je vais avoir des frais supplémentaires. »
Le jeune homme sait déjà qu’il ne pourra plus se contenter des petits boulots qu’il faisait jusqu’à présent, comme les baby-sittings. « Je vais devoir chercher un emploi au moins à mi-temps » Cette perspective l’angoisse, confie-t-il : « J’ai très peur de l’impact que ça va avoir sur mes études. »
Par Joséphine Dubois, rédactrice plaidoyer au Secours Catholique.